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Le sens commun : une définition qui pousse à la réflexion

Selon Ben Mohamed Kostani, « La connaissance sociale est un carrefour où se croisent plusieurs disciplines, approches et méthodes et plus particulièrement la psychologie, la psychologie sociale, l’anthropologie et la sociologie. ». La connaissance sociale s’appuie sur différents savoirs dont celui sociologique et celui du quotidien. Le sens commun désigne un ensemble de connaissances et de croyances que les individus partagent. Nous allons voir deux approches du sens commun, après avoir défini cette notion : la première se détache du savoir sociologique et la seconde, fait de lui un apport de la sociologie.



Le sens commun


Le sens commun se caractérise par le fait qu’il soit partagé par le plus grand nombre. Il est un ensemble de connaissances scientifiques ou non, de croyances liées à l’expérience personnelle ou non, de préjugés, etc.


En sciences humaines et sociales, la notion de sens commun se rapporte aux connaissances du quotidien en se distinguant de celles sociologiques, sur la vie en société. Son but est de nommer une forme de connaissance sans lui induire de valeur en fonction des autres. Le savoir sociologique et celui du quotidien sont tout deux des construits en constante évolution, susceptibles d’être erronés.



Une distinction de savoirs


Gaston Bachelard, soulignait que « Dans la formation d’un esprit scientifique, le premier obstacle, c’est l’expérience première » (Bachelard, La Formation de l’esprit scientifique, 1983, p. 23), dissociant strictement la connaissance de la pratique. Cette dernière peut créer une forme de savoir contenu dans le sens commun.


Le sociologue Émile Durkheim a évoqué l’opposition du sens commun et du savoir sociologique dans son œuvre Règles de la méthode sociologique (1981). Dans un premier temps, il affirme que les sciences sociales doivent se défaire du sens commun, puisque celui-ci est sujet aux préjugés et empli de prénotions. Cette vision s’explique par le fait qu’Émile Durkheim considérait les faits sociaux comme des « choses » : l’idée que les individus se font des faits sociaux n’est donc que secondaire dans l’analyse. Par la suite, le sociologue a affiné sa réflexion en accordant un rôle au sens commun dans l’analyse de la société, en soulignant l’attention qu’il fallait porter aux prénotions et aux préjugés qu’induit la prise en compte des connaissances du quotidien.


En sachant que la sociologie n’est pas reconnue comme une science (selon Bernard Lahire), nous pouvons voir une volonté de la légitimer en la distinguant strictement du sens commun et de ses préjugés. Méthodologiquement, cette opposition peut mettre en avant le besoin d’objectivité de la sociologie. Nous pouvons pourtant percevoir les limites de cette catégorisation : comment faire l’étude d’une société sans s’attarder sur la vision que porte, sur elle, les individus la composant ? De même, comment étudier les comportements humains en oubliant d’évoquer la conscience que chacun a de ceux-ci ?



Un apport pour la sociologie


Le sens commun résulte d’interactions sociales. Malgré sa subjectivité, il peut devenir une précieuse ressource d’informations. Rappelons que la sociologie est également subjective, dans le sens où le sociologue interprète des données qui peuvent être elles-mêmes sujettes à l’interprétation de la personne qui les donne. L’information de sens commun peut devenir un appui pour l’analyse sociologique, en considérant l’individu comme acteur ayant une réflexion sur ses actions.


Pour Alfred Schütz, « les objets de pensée construits par le chercheur en sciences sociales, afin de saisir la réalité sociale, doivent être fondés sur des objets de pensée construite par le sens commun des hommes vivants quotidiennement dans le monde social. De la sorte, les constructions des sciences sociales sont, pour ainsi dire, des constructions du second degré, c'est-à-dire des constructions des constructions faites par les acteurs sur la scène sociale, dont le chercheur doit observer le comportement et l’expliquer selon les règles procédurales de sa science » (Schütz traduit et cité dans Blin, 1999, p. 17).


Pour le sociologue Max Weber, le savoir sociologique et le sens commun sont liés par la compréhension. Une analyse sociologique demande en premier lieu une compréhension du sens commun « tel quel ». Le sociologue souligne l’importance de la méthode utilisée.




Pour conclure, l’ensemble de connaissances et de croyances désigné par le sens commun est tronqué par des préjugés. Il est malgré tout, grandement partagé et peut faire preuve dans une certaine mesure, d’un ordre social. La civilité, les droits et les devoirs inscrits dans la loi, peuvent alimenter progressivement le sens commun, par exemple. Le sens commun se construit au fil des interactions, les connaissances comme les préjugés s’alimentent.


Certains chercheurs l’opposent au savoir sociologique, tandis que d’autres lui attribuent un rôle dans l’analyse de la société. Tous ont en commun de souligner la précaution que demande la récolte de données comptant des préjugés. Une bonne utilisation du sens commun en sociologie sous-entend la capacité à rester objectif en distinguant les données utiles des préjugés. Je serais d’avis de dire que, détachée du sens commun, la sociologie se déconnecte de son essence. L’explication des faits sociaux et des comportements humains ne peut être complète sans connaître la raison que l’individu donne à son action. Et à l’inverse, trop proche du sens commun, la sociologie peut se vider de sa scientificité en devenant une addition de prénotions. Je me, et vous, pose la question : pourquoi ne nous appuyons pas sur le droit, les sciences, la sociologie, etc. pour reconstruire un sens commun, en vue de limiter les préjugés ? Puisque, par expérience, la preuve au quotidien n'est pas suffisante...


Laurie Moscillo




Source :


Ben Mohamed Kostani, « Complications du sens commun, entre Durkheim, Ibn Khaldoun et la sociologie compréhensive », SociologieS [En ligne], Dossiers, Pour un dialogue épistémologique entre sociologues marocains et sociologues français, mis en ligne le 02 novembre 2015, consulté le 23 août 2019.

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