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Photo du rédacteurLaurie Moscillo

L’emploi et le handicap : une approche « réactive »

Le mot travail provient du latin tripalium; il désigne un appareil de trois pieux, utilisé pour ferrer ou soigner les animaux, ou comme instrument de torture pour punir les esclaves. Désignant l'effort physique ou intellectuel accompli dans le but d'obtenir un résultat recherché, le travail peut définir différentes actions selon le domaine. En économie, il désigne un facteur de production, alors qu'en sociologie, il qualifie l'ensemble des activités humaines répétitives et non-gratifiantes réalisées dans la contrainte. Au-delà de l’aspect économique, l’accès à l’emploi est socialement valorisé. En 2017, le taux de chômage était de 9 % pour la population totale et atteignait 19 % pour les bénéficiaires de l’obligation d’emploi en situation de handicap, selon l’Enquête Emploi de l’INSEE. Nous allons décrire la progression du cadre législatif en faveur de l’emploi des personnes en situation de handicap dans l’Histoire et évoquer l’analyse de quelques chercheurs.




L’évolution du cadre législatif pour l’emploi des travailleurs en situation de handicap


Voici en quelques points l’évolution du cadre législatif français et celle de la vision du handicap. En France, cette dernière a résumé la personne à son incapacité durant plusieurs décennies. Vision de laquelle nous avons aujourd’hui encore du mal à se défaire. L’emploi des personnes en situation de handicap répond à une obligation datant du 26 avril 1924. À cette époque, les entreprises devaient compter 10 % « d’invalides de guerre ». Elle a été élargie aux « accidentés du travail » en 1929. La loi du 23 novembre 1957 est à l’origine de la notion de travailleur handicapé. Celle-ci redéfinit les personnes pouvant être considérées comme travailleurs handicapés en prenant maintenant en compte les « infirmités civiles ». L’obligation d’emploi contraint à embaucher 7 % « d’invalides de guerre » et 3 % d’« invalidités autres ». En 1980, la Classification Internationale des Handicaps (CIH) du docteur Philip Wood caractérise le handicap sous trois aspects : lésionnel, fonctionnel et situationnel. Les travaux sur le sujet vont vers une notion de situation de handicap, davantage environnementale.

La loi du 10 juillet 1987 instaure l’obligation d’employer 6 % de travailleurs en situation de handicap pour les entreprises de 20 salariés et plus. Elle créer un moyen d’accompagnement, de contrôle et de sanction financière pour les établissements ne respectant pas la précédente obligation. Ceux-ci versent une pénalité à l’AGEFIPH, organisme s’occupant de favoriser l’embauche des personnes en situation de handicap (FIPHFP pour le secteur public depuis 2006). Cette loi fait passer « l’obligation de moyen à une obligation de résultats », selon Henri-Jacques Stiker. La loi du 30 juin 1975, d’orientation en faveur des personnes handicapées, pose le droit au travail comme un droit fondamental. Comme pour l’éducation, la loi privilégie l’intégration en milieu ordinaire. Cette loi instaure une garantie minimum de ressources par le biais de prestation.

La loi du 11 février 2005 (pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées), rappelle et précise, entre autres, les droits au travail et à la compensation des conséquences du handicap de la personne. Cette loi a augmenté la pénalité à verser à l’AGEFIPH ou au FIPHFP pour les entreprises ne comptant pas 6 % de travailleurs en situation de handicap. D’autre part, ses attentes en termes d’accessibilité de tout pour tous, pourraient déboucher sur une meilleure intégration professionnelle. La mise en place d’un quota de travailleurs en situation de handicap s’est vue être la solution la plus envisageable, mais l’est-elle aujourd’hui ?



Différentes analyses sociologiques


La formation


Le faible niveau de formation des jeunes en situation de handicap est une difficulté supplémentaire à leur insertion professionnelle. Plusieurs raisons expliquent la différence de niveau d’études entre les enfants en situation de handicap et ceux ne l’étant pas, le système éducatif ségrégatif et excluant en est une (voir mémoire). Les freins à la poursuite des études se transforment alors en freins à l’obtention d’un emploi. Dans son article (datant de 2006), Alain Blanc souligne que « 75 % des personnes handicapées ont un niveau de formation de base (CAP-BEP) ».


La discrimination


Les personnes en situation de handicap sont sujettes à la discrimination directe et indirecte, face à l’emploi. La discrimination est une distinction précise entre deux choses, deux groupes ou deux individus. La première est difficilement percevable et donc condamnable, puisqu’un refus d'embauche en raison du handicap n’est pas facile à prouver.

La discrimination indirecte est plus subtile. Selon Henri-Jacques Stiker, elle résulte davantage d’inégalités que de discrimination à proprement dite. Par exemple, la diminution des emplois peu ou non-qualifiés est une discrimination indirecte en vue des difficultés des enfants en situation de handicap à suivre une scolarité classique.

L’historien et anthropologue fait référence aux enquêtes de l’AGEFIPH et l’ADAPT suivantes pour illustrer les représentations qui entourent l’embauche des personnes en situation de handicap : « Les entreprises face à l’emploi des personnes handicapées » en octobre 2002 et « Handicapés compétents » en octobre 2003. La première indique que l’embauche est banalisée (60 %), considérée comme un acte de civisme (40 %) ou comme une bonne action (40 %). Henri-Jacques Stiker indique qu’il y a « une attention portée à la nature du handicap (88 %) toutes entreprises confondues. Dans l’ordre, les handicaps suivants constituent aux yeux des employeurs un réel frein : moteur, mental, sensoriel, handicap lourd. ». En vue de la liste, nous pouvons constater que les enfants ayant ces handicaps accèdent difficilement aux études supérieures et également nous demander quel type de handicap n’est pas un frein… La seconde enquête révèle l’opinion des travailleurs non-handicapés sur le sujet ; elle met en avant que « Face à ces opinions positives la collaboration avec un collègue handicapé ne représente ni un surcroît de travail (80 %), ni des relations de travail différentes. ».

L’emploi, enfin, fait l’objet d’une discrimination positive en faveur des personnes en situation de handicap, par la mise en place d’un quota. L’obligation d’emploi de 6 % de travailleur handicapés est une discrimination positive puisqu’elle réserve (à la hauteur du taux) un nombre d’emplois aux personnes handicapées, au détriment de celles ne l’étant pas.


Le quota


La loi du 10 juillet 1987, qui instaurait un quota de 6 % de travailleurs handicapés, les comptabilisait différemment selon leur(s) incapacité(s) : les personnes ayant une situation de handicap importante pouvaient compter pour 5,5 unités chacune. La loi du 11 février 2005, modifie le système de comptage pour que chaque personne soit équivalente à une unité. Nous pouvons nous demander si ce nouveau calcul n'incite pas les employeurs à embaucher les personnes handicapées ayant le moins besoin d’adaptations. Mais aussi constater que le taux d’emploi est maintenant plus représentatif. Par ce changement législatif, mais aussi par l’arrivée à la retraite de ceux nés lors du baby-boom (personnes comptants également des travailleurs handicapés), le taux d’emploi a diminué après 2005. Cependant, par le changement de définition du handicap et l'augmentation du maintien dans l’emploi, le taux a pu se stabiliser.

L’application d’un quota porte des limites : la notion de travailleur handicapé est floue, les personnes atteintes d’alcoolisme, de fatigue, de stress, de dépression, de troubles du comportement, etc. peuvent être considérées comme travailleurs handicapés, par exemple. En faisant entrer dans le quota, le maintien dans l’emploi des personnes ayant une situation de handicap au sens large, l’application du quota s’éloigne de son but premier. D’autre part, comme pour l’éducation, les dispositifs spécialisés peuvent être un frein à l'embauche en milieu ordinaire. Au-delà de l'existence d’emplois spécialisés qui peuvent ségréguer les personnes handicapées, les dispositifs spécialisés de recrutement, les stigmatisent et ne répondent pas toujours à leur demande.


Deux réponses à l’obligation d’emploi :

« réactive » et « proactive »


Sébastien Point, Céline Charles-Fontaine et Gwenaël Berthélemé analysent les différentes façons de répondre à l’obligation d’emploi de 6 % de travailleurs handicapés. Les entreprises adoptent majoritairement une approche « réactive », c’est-à-dire qu’elles réagissent à la contrainte qu’impose la loi. D’autres, moins nombreuses, ont une approche « proactive » en appliquant une véritable politique d’inclusion à l’aide d’aménagements.

La première approche résulte de, et maintien dans, l’idée que le handicap est contraignant ; au point que des entreprises préfèrent payer une pénalité que de faire droit à une personne en situation de handicap. Cette approche « réactive » fait écho à notre culture, nos croyances et nos préjugés. Son risque est d’embaucher la personne pour son handicap, afin d’améliorer l’image de l’entreprise. « Ce cas de figure conduit à des situations organisationnelles et humaines particulièrement dégradées : peu de perspectives d’évolution de carrière leur sont offertes, des difficultés d’intégration apparaissent, les conditions de recrutement ne sont pas satisfaisantes, etc. ». Un décalage dans la communication peut révéler le fait d'embaucher une personne pour l’image de l’entreprise. La mise en avant de l'embauche d’une personne handicapée par une entreprise ne rendant pas ses biens et services accessibles à une clientèle dans la même situation, manque de cohérence.

L’approche « proactive » est, au contraire, construite autour des notions d’accessibilité et de compensation. Cette approche ne se détache pas des préjugés positifs et négatifs sur le travailleur handicapé (il a une « personnalité de battant », « moins de compétences », etc.), mais prend en compte ses droits. L’approche « proactive » et volontariste créer « sur mesure » les aides utiles aux travailleurs en termes d’accessibilité et de compensation, afin de répondre au mieux aux besoins de chacun : « Outre une culture d’entreprise ouverte à la problématique du handicap, le poste de travail peut être revu, les systèmes de recrutement et de sélection repensés, les politiques de formation renouvelées, le système de management de la performance redéfini. Ces adaptations ou accommodations peuvent aussi concerner l’acquisition ou la modification de l’équipement de l’entreprise, le temps de travail ou encore les facilités du bureau ; la nature et le coût engendrés par ces adaptations dépendent essentiellement de la taille et des ressources de l’organisation, ainsi que de l’impact que ces accommodations peuvent avoir sur les opérations de l’entreprise ; ces aménagements dépendant également du type et de la lourdeur du handicap (Nelson et Kleiner, 2001). ». Des réflexions sont également menées sur le mode de management : le recrutement, la non-discrimination, etc.




Pour conclure, l’embauche des personnes en situation de handicap est aujourd’hui limitée par les préjugés. De part notre Histoire et notre culture, aucune politique volontariste d’inclusion est mise en place. Probablement, que la France ne peut compter que sur une approche « réactive »… L’imposition par le quota apporte une réponse éphémère, si ce n’est une non-réponse. Adopter une approche « proactive », demanderait une reconsidération de la personne en situation de handicap, afin de repenser l’accessibilité du monde du travail et envisager des compensations lorsque la situation le demande. Comme dans l’enseignement, finalement.


Laurie Moscillo




Sources :


BLANC Alain, Handicap et insertion professionnelle : égalité et démocratie, Reliance, 2006/1, n°19, pages 42 à 49.


BERTHÉLEMÉ Gwenaël, CHARLES-FONTAINE Céline, POINT Sébastien, (Re)Considérer le handicap : regards croisés sur les approches en entreprise, Management Prospective, Ed., « Management & Avenir », 2010/8, n° 38, pages 293 à 305.


STIKER Henri-Jacques, Les personnes en situation de handicap dans l'entreprise, Reliance, 2006/1, n° 19, p. 34-41.


AGEFIPH, Le marché du travail des personnes handicapées, bilan année 2018, AGEFIPH N°2019-1, Mars 2019, Tableau de bord, 11 pages.

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Laurie Moscillo
Laurie Moscillo
Nov 28, 2019

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