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La scolarisation des enfants en situation de handicap :
communication et politiques sociales

Conclusion

        Cette première étude à l’intersection de la sociologie et de la communication — réalisée selon une approche empirique et dialectique — m’a permis de tirer les premiers enseignements pour comprendre comment la communication donne à voir les politiques sociales et contribue à infléchir la liberté fondamentale qu’est le droit à l’instruction. 

       D’emblée, la communication met en exergue l’invisibilité (BEAUD : 2008) de l’enfant : non seulement il n’est jamais autoreprésenté mais il n’est pas non plus au cœur des discussions qui le concerne. Il n'apparaît pas comme le sujet de son propre parcours mais comme un objet dont il faut définir la place. Il est trop souvent résumé à son incapacité, oubliant qu’avant d’être en situation de handicap, il est un enfant, un élève à part entière.
Quel que soit son support, la communication semble réservée aux seuls « initiés » directement ou indirectement concernés par cette question à titre personnel ou professionnel. La scolarisation des enfants en situation de handicap n’arrive pas à s’imposer comme un sujet de société à part entière : j’émets l’hypothèse sans pouvoir la vérifier que les personnes valides ne s’identifient pas aux personnes en situation de handicap. La déscolarisation de la jeune Léonarda en situation irrégulière en France a provoqué une vive émotion chez des personnes concernées ou non par l’immigration. La communication de l’opinion publique a poussé le Président de la République à rappeler que le rapport d'enquête sur l’expulsion n’avait constaté aucune faute et avait rappelé la loi : « J'en tire trois conclusions : la loi [celle relative à l’immigration clandestine] doit être respectée et appliquée par tous. [...][111] », par voie de presse. Il fera néanmoins une exception à la règle en proposant que cette jeune fille vienne seule, uniquement dans le but de terminer ses études. Par cet exemple, nous constatons que la communication de l’opinion publique peut influencer l’application de la loi.
Il faut dire que la communication affiche une extrême complexité de notre sujet. Sur la forme, le recours intempestif aux sigles ne donne pas accès à la compréhension aux non-initiés. La terminologie utilisée provient du champ lexical des sciences humaines et sociales qui pourrait laisser penser que le sujet est maîtrisé. Pour autant, l’analyse de la communication met en exergue que les mots ne revêtent pas le même sens, la même réalité pour tous, deviennent polysémiques et peuvent même avoir des significations antagonistes. Prenons par exemple les trois principaux mots de notre sujet : scolarisation, handicap et inclusion.
La scolarisation signifie le fait d’aller à l’école pour certains (et pour le dictionnaire) et le fait d’être accueilli en établissement médico-social pour d’autres.

La communication observée qualifie le terme « handicap » de mot-valise. C’est dire si sa définition — donnée par l’OMS dans les années 1980 à l’origine de la définition juridique inscrite dans la loi n°2005-102 — est incomprise. Nombreux sont ceux qui pensent le handicap comme une multiplicité de formes d’incapacité, de diagnostic l’associant comme une forme de « déviance », de « tare » de la personne elle-même, faisant perdurer la vision médicale du handicap. Pour la CIDPH, le handicap désigne le résultat de ​l’interaction ​entre des facteurs personnels (incapacité(s) de la personne) et des facteurs environnementaux (barrières liées à ​l’inaccessibilité du cadre bâti, des ​transports, des ​services​, des technologies ; barrières ​comportementales ​; etc.), dont l’effet est d'entraver la pleine participation ​de la personne concernée. Dans cette compréhension sociale du handicap, ​l’environnement est, au même titre que l’incapacité, responsable et coproducteur de la situation de handicap. Si les progrès de la sciences ont conduit au développement d’une  multitude d’outils d’évaluation  de l’incapacité (tests psychométriques, imagerie par résonance magnétique,  etc.) qui  permettent  de  déterminer  et  quantifier  l’altération de fonction(s) par rapport à des échelonnages normatifs, il n’existe qu’un seul outil d’évaluation du handicap (c’est-à-dire la limitation d’activité(s) et/ou la restriction de la participation à la vie sociale) : le guide d’évaluation des besoins de compensation des personnes handicapées (Geva), élaboré en 2008, constitué de plusieurs volets dont un sur la scolarité. Ce guide, (outil inscrit dans la loi) destiné aux équipes pluridisciplinaires des MDPH, n’est que très rarement utilisé, les MDPH préférant exiger des bilans médicaux, plus particulièrement des tests psychométriques pour se prononcer sur l’orientation de l’enfant.  La communication de la CNSA relative au Geva le présente comme un « support d’un langage commun et d’une coopération entre les acteurs[112] » alors que le Geva contient des informations soumises au secret professionnel voir médical.

Enfin, le terme « inclusion » fait référence à un concept qui fait largement consensus au niveau international dans la communauté scientifique : en 1994, la conférence mondiale sur les besoins éducatifs spéciaux qui a conduit à la Déclaration de Salamanque[113] développait le concept d’école pour tous « pour permettre aux écoles d'être au service de tous les enfants, et en particulier de ceux qui ont des besoins spéciaux. ». Ce concept est fondé sur les principes de liberté et d’égalité inscrits dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme[114] de 1948 ainsi : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité. ». Le concept d’école pour tous a évolué vers celui d’inclusion ou d’école inclusive repris en France dans la loi n°2013-595 sur la refondation de l’école. Le terme « inclusion » — décliné sous toutes ses formes (jusqu’au « masque inclusif » pour parler d’un masque transparent qui permet la lecture labiale) — signifie dans la communication observée, qu’il faudrait inclure tout enfant soit dans l’école, soit dans une structure médico-sociale. Or, inclure « en dehors de l’école » signifie exclure du système scolaire. En galvaudant les mots et en retirant tout principe (égalité, non-discrimination) des concepts existants, la communication relaye des théories élaborées sur la base de notions. Soulignons qu’une notion est une construction mentale plus ou moins aboutie de l’idée que l’on se fait d’une chose, une représentation, une connaissance intuitive (au sens d’absence de raisonnement) qui peut être insuffisante et/ou trompeuse alors que le concept résulte d’un raisonnement et se fonde sur des principes. Comparaison n’est pas raison mais le registre lexical de la CIDPH[115] ne prête pas à confusion : 

« Les États Parties reconnaissent le droit des personnes handicapées à l’éducation. En vue d’assurer ​l’exercice de ce droit sans discrimination et sur la base de l’égalité des chances​, les États Parties font en sorte que le système éducatif pourvoie à l’insertion scolaire à tous les niveaux et offre, tout au long de la vie, des possibilités d’éducation qui visent [...] Aux fins de l’exercice de ce droit, les États Parties veillent à ce que :

○ Les personnes handicapées ne soient pas exclues, sur le fondement de leur handicap, du système d’enseignement général et à ce que les enfants handicapés ne soient pas exclus, sur le fondement de leur handicap, de l’enseignement primaire gratuit et obligatoire ou de l’enseignement secondaire ;

○ Les personnes handicapées puissent, sur la base de l’égalité avec les autres, avoir accès, dans les communautés où elles vivent, à un enseignement primaire inclusif, de qualité et gratuit, et à l’enseignement secondaire [...] ».

L’expression de Charles Gardou prend ici tout son sens : une « danse avec les mots » (GARDOU : 2012).

        Sur le fond, la communication observée donne à voir que le débat se résume à l’opposition d’opinions, d’avis, sans objectivation ni argumentation, ce qui conduit à une   rigidification des postures. Tout est présenté comme une dualité : l’idéologie intégrative s’oppose à celle inclusive, la vision médicale du handicap à celle sociale, le droit à compensation au concept d’accessibilité universelle, etc.. Les idées sont tranchées, sans nuance, s’énoncent de manière péremptoire, polarisant ainsi les points de vue.   

Nous aurions pu penser, dans un premier temps, que la communication relative à notre sujet sur le réseau social Facebook aurait pu permettre d’enrichir le débat et de le démocratiser. Son analyse tend à prouver le contraire. Le format particulier de ce support réduit l’expression de la pensée et, par conséquent, ne fait qu’exacerber les travers de la communication analysée comme ci-dessus. L’anonymat (ou le pseudonymat) libère indéniablement la parole et donne lieu à une liberté de ton qui n’amène rien de plus dans la réflexion. Le fait de ne pas être identifiable semble laisser croire que la liberté de parole c’est dire tout ce qui nous traverse l’esprit sans retenue ni discernement. Nous pouvons lire assez régulièrement des jugements de valeurs sur les enfants (et leurs familles) pour légitimer l’exclusion de l’enfant. Comme le dit l’adage « Qui veut noyer son chien l’accuse de la rage », qui veut exclure un enfant en situation de handicap l'accusera d’être « non-scolarisable », « violent », de ne pas avoir appris le « métier d’élève », de « ne pas avoir le niveau » pour faire des apprentissages, etc.

Ce flot permanent d’informations non hiérarchisées (si ce n’est par les biais de confirmation : plus une publication est « likée », commentée et partagée, plus elle semble légitime) participe à la confusion, à la perte de repère et de valeur.  La légitimité de cette communication revient à celle charismatique (KAUFFMANN : 2014/3) au détriment de celle fondée sur le respect de la loi. Au nom de la liberté d’expression, certains s’autorisent à remettre en cause le droit Constitutionnel (l’égal accès à l’instruction). La liberté d’expression peut s'avérer dans notre sujet à l’origine d’un tort mesurable (la privation d’une liberté fondamentale) pouvant être aggravé par le contexte dans lequel la communication crée le tort (RAMOND : 2013/4). Effectivement, la portée n’est pas la même quand un citoyen lambda exprime publiquement qu’il pense que tous les enfants en situation de handicap ne peuvent pas aller à l’école que lorsqu’un Président de la République l’annonce non pas comme son avis personnel mais comme une vérité absolue dans un discours officiel. 

Nous avons pu constater que la communication véhicule l’idée que le savoir scientifique (des professionnels, des sachants) serait supérieur au savoir profane à tel point que la parole de l’enfant n’est pas entendue et celle de ses parents est discréditée. Au nom d’un « travail collaboratif, pluridisciplinaire » les institutions contournent le droit fondamental de l’enfant en se disant seules capables de juger de l’intérêt supérieur de l’enfant et à ce titre, définir à sa place (et à la place de ses parents) son parcours. Soulignons que ce sont les mêmes professionnels qui s’expriment sur leur « manque de formation » lorsqu’il leur est demandé de rendre l’école accessible à tous les enfants, de mettre en œuvre une mesure de compensation.

        Au total, cette communication relaie des représentations individuelles articulées entre elles sous forme de théories subjectives, faussement compassionnelles, créant ainsi une représentation collective. Cette dernière s’affiche comme le consensus « acceptable » et s'érige en norme qui infléchit la mise en œuvre du cadre législatif existant. La méconnaissance de la hiérarchie des normes conduit à l’amalgame entre droit constitutionnel/politiques sociales et entre droit commun/droit spécial. La scolarisation des enfants en situation de handicap n’est pas une compensation mais un droit constitutionnel qui crée l’obligation au service public de l’éducation d’assurer la formation scolaire, professionnelle et supérieure de tous les enfants, adolescents et adultes en situation de handicap (droit commun). La loi n°2005-102 créer le droit à compensation des conséquences du handicap en fonction des besoins évalués dans tous les lieux et sur tous les temps de vie par la MDPH. Les décisions de cette dernière sont créatrices d’un droit individuel (droit spécial) qui s’impose aux institutions dans leur domaine de compétences respectif. En droit pur, le droit spécial ne remet jamais en cause le droit commun, il le complète. La communication donne à voir une crise du sens et du symbolique — plus particulièrement dans nos institutions — qui entrave l’élaboration (la conceptualisation et la modélisation) de politiques sociales efficientes visant à garantir la cohésion sociale et réduire les inégalités sociales.  

Dans la continuité de cette recherche, je réaliserai une thèse en sciences de l’information et de la communication afin d’interroger les répercussions de la communication autour de la scolarisation des enfants, adolescent(e)s et jeunes adultes en situation de handicap sur leur autodétermination à l’âge adulte. 

[111] LE FIGARO. Leonarda : les conclusions de Hollande. Le Figaro [en ligne], Publié le 19/10/2013 à 13:17, Mis à jour le 19/10/2013 à 13:32. [consulté le 9/08/2021]. Disponible à l’adresse : https://www.lefigaro.fr/flash-actu/2013/10/19/97001-20131019FILWWW00304-leonarda-les-conclusions-de-hollande.php?fbclid=IwAR1_reYIpsyOXe5ZgGO56LfRMtUTbQ8jdeW-7zOjLZsUcFenle9ZfjTi8SQ

[112] CNSA. Le GEVA. In : CNSA Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie - Site d'information institutionnelle et    professionnelle    de    l'aide    à    l'autonomie.    [consulté    le    2/07/2021].   

Disponible    à    l’adresse : https://www.cnsa.fr/outils-methodes-et-territoires-mdph-et-departements/evaluation-des-besoins-des-personnes-handicapees-et-reponses/le-geva

[113] UNESCO, MINISTÈRE DE L’ÉDUCATION ET DES SCIENCES Espagne. Déclaration de Salamanque et cadre d’action  pour l’éducation  et  les  besoins  spéciaux,  adoptés  par  la  conférence  mondiale  sur l’éducation et les besoins éducatifs spéciaux : accès et qualité, Salamanque. Espagne : Organisation des Nations Unies pour l’Éducation, la Science et le Culture, Ministère de l’éducation et des Sciences Espagne, 7-10 juin 1994, 47 pages.

[114] Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, 1948.

[115] ORGANISATION DES NATIONS UNIES. Op. Cit..

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