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La scolarisation des personnes en situation de handicap :
politiques d' « inclusion » et conflits de représentations

Conclusion

L'égal accès à l'instruction est un droit fondamental pour tous avec pour chacun la
possibilité de l'exercer ou de déroger au droit commun en demandant une orientation dans une structure médico-sociale ( droits spéciaux). Le cadre législatif donne droit au choix de la personne concernée (un choix qui n'existe pas dans les pays dits inclusifs puisqu'il n'existe pas de structures spécialisées). Ce droit s'inscrit dans une loi spécifique dédiée au handicap alors que d'autres pays les intègrent dans les textes généralistes, ce qui complexifie la compréhension de l'égalité des droits. Dans l'absolu, le respect des droits individuels ne devrait pas faire débat - encore moins polémique - dans l'espace public. En effet, la loi a pour objectif de trouver un équilibre entre les droits individuels et l'ordre public en créant des droits pour les uns et des obligations pour les autres. Je propose de faire le parallèle de cette situation avec les propos de Gisèle Halimi, célèbre avocate et fervente défenseure des droits de la femme, notamment dans le cadre de la législation sur l'avortement qui rappelait avec simplicité : - toutes les femmes ont droit à la maternité mais aucune n'a obligation d'enfanter - toutes les femmes ont la possibilité de se faire avorter sans obligation de le faire. 
Par conséquent, le droit des femmes en matière d'avortement est donc un choix personnel et les politiques publiques ont obligation de respecter ce choix. Le droit de choix personnel n'est discutable par personne, quelles que soient ses propres croyances, représentations, idéologies, etc ..
Ce raisonnement basé sur le bon sens s'applique à tous les débats de société et à celui qui nous occupe. - tous les enfants ont le droit d'aller à l'école - les enfants handicapés ont la possibilité de déroger à l'obligation scolaire par une orientation en IME sans que personne ne puisse les y contraindre.
Expliquées comme cela, les choses paraissent plus claires, et il s'agit maintenant de comprendre pourquoi elles semblent encore aujourd'hui si compliquées et pourquoi ce choix individuel n'arrive pas toujours à être respecté.
Cette première analyse de l'état de l'art en matière de scolarisation des personnes en situation de handicap met en exergue un certain nombre de constats et de spécificités de la France par rapport à d'autres pays dits« inclusifs», pouvant expliquer le retard en matière de respect des droits des personnes en situation de handicap.

La France a expérimenté des politiques intégratives avant celles dites «inclusives». Les politiques dites « intégratives » ont fait suite aux lois Ferry promulguant entre autres l'obligation scolaire, puis au constat qui en a découlé de la difficulté à mettre en oeuvre l'école pour tous avec les enfants en situation de handicap. Bien d'autres pays (comme la Suède et la Finlande notamment) ont inclus directement et ont légiféré sur le sujet sur la base de leurs pratiques inclusives. C'est aussi le cas en Italie où plusieurs années de mouvements antipsychiatriques menés par des syndicats d'étudiants et des collectifs de familles ont conduit à une politique de désinstitutionnalisation en 1978. Ces mouvements étaient d'ailleurs soutenus par des scientifiques s'appuyant sur les progrès de la science; tel que le Dr Adriano Milani Comparetti[28], neuropédiatre italien, spécialisé dans la prise en charge de l'infirmité motrice cérébrale plus particulièrement, précurseur de la médico-pédagogie et fervent défenseur de l'inclusion scolaire des enfants handicapés. En comparaison, la France a commencé par légiférer sur l '« inclusion » des personnes en situation de handicap en s'appuyant sur des idéologies portées, plus particulièrement, par une forme d'intelligentsia. C'est peut-être ce qui explique que le cadre législatif ne soit pas bien compris et par conséquent mal appliqué, et que l'opposition entre ces deux idéologies (intégration et inclusion) persiste depuis des décennies.
Enfin, la réaffirmation du choix de parcours de la personne handicapée met à mal l'administration: il est plus facile d'adapter le parcours des individus en situation de handicap en fonction des places existantes plutôt que d'adapter les dispositifs du milieu ordinaire (accessibilité-compensation) ou spécialisé en fonction de la demande. La complexité administrative spécifique de la France, avec une organisation stratifiée et une décentralisation non aboutie où les compétences sont déléguées sans les moyens à différents niveaux (même problématique que celle mise en exergue lors de la pandémie Covid-19 avec les hôpitaux), pose le problème de l'anticipation de la réponse. J'émets l'hypothèse que, dans une certaine mesure, une société qui n'arrive pas à être inclusive a tout intérêt à laisser perdurer les conflits de représentations, voire à les alimenter. Parler de scolarité dans les Instituts médico-éducatifs (IME), ou inclure dans les statistiques des enfants en situation de handicap scolarisés ceux étant en IME, font perdurer les conflits de représentations, par exemple.
Nous avons également posé le constat qu'une grande diversité de représentations du handicap cohabitait entre et comme à l'intérieur des espaces sociaux étudiés. On peut néanmoins les regrouper en deux groupes distincts et antagonistes : le premier s'appuyant sur l'égale valeur humaine de tout individu et l'égalité de leurs droits (en faveur de l'inclusion), et le second sur une humanité particulière, parfois même une «sous-humanité» (en faveur de l'intégration, voire de l'institutionnalisation), des personnes en situation de handicap. Cette juxtaposition de deux théories opposées ne permet pas à l'une d'elles d'être dominante. Autrement dit, le débat idéologique ne peut pas trouver de consensus. Les conflits de représentations ne permettent ni le respect du choix individuel ni l'élaboration d'un cadre législatif tranché sur la question de la scolarisation des personnes en situation de handicap. Le libre choix éclairé et consenti de la personne concernée est soumis à l'ensemble des représentations de la société, mais également aux siennes (qu'elles aient été induites ou non par autrui). La création de classes de maternelles spécialisées (comme l'unité d'enseignement en maternelle autisme), qui découle de représentations, va à l'encontre du libre choix de l'enfant alors trop jeune pour le faire, par exemple. J'émets l'hypothèse qu'en ce sens, les représentations sociales ont une incidence sur
la mise en oeuvre des politiques dites « inclusives ».
Les politiques dites « inclusives» et les représentations du handicap s'influencent
mutuellement. La rapporteuse spéciale de l'ONU Catalina Devandas-Aguilar, dans son rapport faisant suite à sa visite en France, alerte sur la restriction de pouvoir de décision des personnes en situation de handicap et le non-respect de leurs choix : « La Rapporteuse spéciale est extrêmement préoccupée par le nombre très élevé de personnes handicapées qui vivent dans des établissements répartis sur tout le territoire français. Environ 100 000 enfants et 200 000 adultes handicapés résident dans une grande variété d'institutions. [ ... ] Bien qu'elles diffèrent par leur taille, leur dénomination et leur organisation, ces institutions restreignent toutes la liberté des personnes handicapées, les séparent et les isolent de la collectivité, leur ôtent le choix et le pouvoir de décision en matière de lieu de vie et de mesures d'assistance, et les restreignent considérablement dans leur prise de décisions au quotidien. Des parents qui s'opposent au placement de leur enfant handicapé en institution sont victimes d'actes d'intimidation ou de menaces et, dans certains cas, perdent la garde de leur enfant lorsque celui-ci est placé en institution de force ou fait l'objet d'un placement administratif.[29]». Elle enjoint une fois de plus la France à conduire une politique de désinstitutionnalisation rapide. Soulignons là encore qu'il est possible d'arguer d'un manque de moyens, de manque de formations, il n'en demeure pas moins que le frein principal à l'inclusion reste avant tout un problème culturel, organisationnel.
Pour mieux comprendre l'influence mutuelle entre les politiques dites d'« inclusion» et les conflits de représentations, dans le cadre de la scolarisation des personnes en situation de handicap, une enquête de terrain est nécessaire afin d'affirmer ou d'infirmer les hypothèses proposées ci-dessus. En continuité de ce travail, l'enquête de terrain fera l'objet de mon mémoire de M2. Au regard des grands concepts des fondateurs de la sociologie, la pluridisciplinarité des sociologues contemporains n'apporte in fine qu'une complexification du débat idéologique, avec une part importante laissée à la psychologie. Les analyses théoriques sur lesquelles je me suis appuyée tendent à mettre l'incapacité de la personne au coeur du sujet (comme génératrice de représentations, comme limite à sa citoyenneté, etc.). Je souhaite, par
l'enquête de terrain, présenter une réponse à ma problématique centrée sur les représentations sociales afin d'appréhender les conflits de représentations, l'application de la loi en faveur de l'inclusion des personnes en situation de handicap dans la société ainsi que les influences mutuelles entre les deux. Plusieurs méthodes d'enquête sont envisageables (cf Annexe).
Si l'hypothèse sur l'intérêt des politiques sociales à maintenir et alimenter les conflits de représentations est vraie pour le handicap, elle le sera aussi pour toutes les catégories de personnes vulnérables et/ou susceptibles d'être discriminées. La dépendance entre les politiques et les représentations sociales est un frein au libre choix individuel ; et ce peu importe la population étudiée. Nous pouvons penser à la mixité scolaire qui n'a pas été de soi en termes d'ethnie ou de genre, par exemple. Nous pouvons, par ailleurs, nous interroger sur l'application de la Convention internationale relative aux droits de l'enfant (CIDE), en sachant que l'enfant est un sujet de droit même s'il n'a pas capacité juridique à les faire exercer. L'enfant en situation de handicap cumule deux vulnérabilités : celle liée à son incapacité et celle liée à son âge.
Soulignons enfin qu'à l'instar de la sociologie du handicap, la sociologie des enfants est un domaine peu exploré. Cela peut nous poser question concernant la place accordée à la personne en situation de handicap et à l'enfant dans notre société.


[28] Pour plus d'informations : https://www.superabile.it/cs/superabile/la-rivoluzione-di-adriano-milani-pediatra-eneuropsichiatra.html

[29] Rapport ONU, Annexe de la Rapporteuse spéciale sur les droits des personnes handicapées, visite en France, Assemblé général conseil des droits de l'homme, 8 janvier 2019, page 13.
URL : http://www.embracingdiversity.net/files/country/1551779584france-visit-fullreport.pdf?fbclid=IwARlvu Uffd5tlhTGZj7WwfQqgrrcc9x8aAJgVnlyPewA4F4YM7tBlvhnp4o

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