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L’« école inclusive » et le handicap : un enjeu sociétal

Conclusion

La question de la scolarisation des enfants, adolescents et jeunes adultes en situation de handicap en France ne peut se défaire du contexte législatif, historique et social dans lequel nous avons abordé la notion de handicap. Le droit est une norme sociale stricte, permettant de « faire société », qui donne des droits aux uns et des obligations aux autres. Or la législation française sur le handicap fait l’objet de négociations, créant ainsi une forme de droit souple. L’instruction est un droit constitutionnel, une liberté fondamentale donnant l’obligation à l'État et aux parents de donner accès à l'instruction à chaque enfant. Historiquement, l'enfant en situation de handicap a longtemps été considéré comme « inéducable » et mis à l’écart de la société comme l’ensemble des personnes handicapées. La vision archaïque du handicap restreignait l’individu à son incapacité avant que le Docteur Phillip Wood définisse celui-ci en ajoutant aux caractéristiques propres à la personne une dimension environnementale et sociétale déterminant la situation de handicap dans les années 1980. En lien avec les travaux menant à cette nouvelle perception du handicap et la vision elle-même, le cadre législatif a évolué : en 1975, la loi n°75-534 réaffirmait le droit des personnes en situation de handicap de vivre en milieu ordinaire (droit commun) puis en 2005, la loi n°2005-102 leurs donnait droit à la compensation de leur handicap (droit spécial) ; afin de favoriser l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.

 

            Dans le cadre interprétatif que nous avons décrit, la scolarité des enfants, adolescents et jeunes adultes en situation de handicap peut s’effectuer selon trois modalités : la classe ordinaire (où le milieu et l’enseignement sont ordinaires) ; la classe spécialisée (où le milieu est ordinaire et l’enseignement spécialisé) et le milieu spécialisé (où le milieu et l’enseignement sont spécialisés). Le milieu spécialisé étudié se restreint à celui qui donne accès à une scolarité effective au sens des définitions de sens communs, de la loi et sociologiques. Les établissements médicaux-sociaux sont donc exclus de l'analyse. Émile Durkheim pose comme objectifs de l’éducation scolaire : la socialisation ainsi que l’apprentissage de savoir-être et de savoir-faire. La distinction spatiale des modalités de scolarisation met en avant ce que Michel Foucault nomme l’hétérotopie : un lieu représentant une idéologie. La classe spécialisée et le milieu spécialisé, par la mise en place d’un « entre-soi » fondé sur le stigmate (E. Goffman, 1975), traduisent une approche particulariste (H-J. Stiker, 2002) de l’accès à l’instruction. La modélisation du système scolaire français est, de ce fait, ségrégative voir excluante. Autrement dit, la réflexion et la concrétisation de différentes modalités de scolarité, en lieux différents sont un frein à l’inclusion scolaire. L’Ulis qui a pour but d’accompagner l’enfant sans lui imposer une classe ouverte uniquement aux enfants en situation de handicap, devient ségrégative lorsque l’inclusion en classe ordinaire n’est pas effective. L’enquête qualitative souligne que l’unité localisée a tendance à devenir une classe spécialisée en négligeant l’inclusion. Par ailleurs, elle met aussi en lumière la réalité de l’exclusion scolaire chez les enfants, adolescents et jeunes adultes en situation de handicap. Qu’elle fasse suite à une discrimination explicite ou à des conséquences du non-respect du droit à compensation, un certain nombre d’enfants handicapés sont mis à l’écart de l’école. Et nous l’avons évoqué, ce constat s’abstient de faire référence aux enfants « sans solution », pour qui nous ne connaissons pas la proportion exacte, en France.

Le sens commun accorde le bien-fondé du différentialisme (particularisme extrême) aux besoins particuliers de la personne en situation de handicap. Ceux-ci justifieraient que les personnes soient délocalisées dans des centres spécialisés « mieux pour elles ». Une majorité d’individus en France ont été en faveur de l’institutionnalisation des personnes en situation de handicap, au cours de l’Histoire. En sachant que la plupart de ces centres (ceux qu’Erving Goffman appelait « asiles ») sont isolés, nous pouvons parler de ghettoïsation. Le point de vue favorable à la séparation spatiale des personnes en situation de handicap et celles ne l’étant pas peut être expliqué par la  liminalité (A. Blanc,2009). Concept selon lequel la dualité entre l’inclusion et l’exclusion n’existe pas. Dans ce cas, le lieu particulier d'accueil des personnes en situation de handicap est un « entre-deux ». Ces points de vue doivent être considérés comme tels, et ne devraient pas prendre le pas sur les droits des individus. La perception ne devrait pas affaiblir l’ordre social.

 

            Dans les faits, l’inclusion scolaire est un enjeu sociétal. En respectant le droit à l’instruction, elle permet à chaque enfant, adolescent-e, jeune homme et jeune femme d’avoir accès au savoir en vue d’avoir une vie digne et autonome à l’âge adulte. La scolarisation permet l’apprentissage des codes sociaux et des connaissances scolaires. L’enfant scolarisé acquiert la possibilité d’exploiter son plein potentiel, de ce fait l’éducation est une forme de valorisation des rôles sociaux (W. Wolfensberger, 1997). Nous avons pu appréhender les freins et les moteurs de la scolarisation effective des enfants, adolescents et jeunes adultes en situation de handicap, à travers l’enquête qualitative. En considérant les diversités des situations, les freins restent la complexité administrative, la mise en place des compensations du handicap et la prise en compte des choix des personnes concernées. Ceux-ci ont en commun de dépendre d’interactions sociales. L’imposition de la modalité de scolarisation, le refus de la compensation et les problèmes administratifs résultent de l'incompréhension, du préjuger et de la méconnaissance. L’enquête souligne clairement que le bon déroulement de la scolarité de l’enfant en situation de handicap dépend de l’ensemble des acteurs qu’il est amené à rencontrer. La négociation dans l’interaction, tout comme le consensus, manque d'équilibre dans la majorité des cas pouvant entraîner un écart important de l’objectif : faire progresser l’enfant. Ce qui explique l’existence de situations d’échec et de réussite aux antipodes les unes des autres.

Soulignons que sur l’ensemble des réponses, très rares sont les personnes ayant présenté le handicap comme un frein à la scolarité, le problème souligné est l’inadéquation de l’environnement. Pour cette raison, l'accessibilité universelle est primordiale et permettrait de garder la compensation pour les enfants pour qui l'accessibilité n’est pas suffisante. La situation de handicap de l’enfant est secondaire face à l'infinie possibilité que contient l’adaptation.

 

           

Les possibles freins à la scolarité pour tous (les plus cités) sont la formation des intervenants et la vision du handicap en France (les mentalités). Le manque de formation laisse beaucoup d’acteurs de la scolarisation dans l’ignorance : certains s’en sentent « démunis ». D’autre part, la vision réductrice de la personne en situation de handicap, revenant au validisme, que certains partagent est un frein important à l’instruction des enfants, adolescents et jeunes adultes en situation de handicap. L’enquête qualitative montre un désintérêt de l’aspect scolaire, au sein même de l’école. Or l’« école inclusive » n’est pas une fin en soi permettant de s'auto-satisfaire de la diversité dans les établissements scolaires, mais bien d’accompagner par l’enseignement l’enfant à exprimer tout son potentiel, de lui apprendre l’autonomie au sens de la capacité de faire des choix et l'amener à acquérir les connaissances (scolaires ou des savoir-faire) nécessaires dans l’objectif d’intégrer le monde professionnel à la fin de son parcours scolaire. Ce qui est le même objectif que pour les enfants non-handicapés. Précisons que la mentalité en temps que frein, doit prendre en compte l’Histoire du handicap en France. La peur et la non-compréhension de celui-ci peuvent, consciemment ou non, entraîner des comportements inadaptés chez l’interlocuteur. À ce propos Charles Gardou souligne que : « Les violences, directes ou indirectes, explicites ou implicites, que nous faisons subir aux plus fragiles ne seraient rien d'autre qu'un vieux mélange d'héritage reptilien et de comportement barbare. » (C. Gardou, 2013, p.38).

 

Fort heureusement, une partie des enfants, adolescents, et jeunes adultes en situation de handicap sont scolarisés en classe ordinaire dans de bonnes conditions. En pleine « inclusion », dans la classe où ils ont accès de droit. Les moteurs de l’« école pour tous » mis en avant par l’enquête sont : l'application du droit stricte ; l’engagement de chaque acteur en collaboration et la connaissance des situations de handicap. À l’image des expériences retranscrites dans ce mémoire, tous les freins que rencontrent les enfants, adolescents et jeunes adultes en situation de handicap, peuvent être levés. Par l’écoute et la bienveillance dans les interactions entre chaque acteur. La collaboration active entre la famille, l’école et les accompagnants. Par la mise en accessibilité, la prise en compte des besoins particuliers, la demande et la mise en place des compensations. Nous pourrions dire qu’une scolarisation réussie à tout point de vue, demande une qualité de l’interaction. Aujourd’hui les qualités humaines pallient aux manques d’organisation, d’information et de formation indispensables à la scolarité pour tous, pour quelques enfants, adolescents et jeunes adultes à besoins particuliers. Soulignons que des parents suivent rigoureusement la scolarité de leurs enfants pour compenser tout ce qu’il ne l’est pas ; que des accompagnants et des enseignants s’auto-forment et que les enfants, adolescents et jeunes adultes sont amenés à gérer seuls leurs difficultés.

 

La rapporteuse de l’ONU, il y a quelques mois, qui faisait référence à l’école, dans ses préconisations faites à la France, indiquait :

« De prendre des mesures visant à favoriser et garantir l’accès de tous les enfants handicapés, y compris les enfants « sans solution », à un accompagnement adapté dans des établissements scolaires inclusifs et ordinaires, notamment d’ouvrir un service d’éducation spéciale et de soins à domicile et d’autres services spécialisés dans l’enceinte de l’école, et d’éviter tout chevauchement avec les activités des unités spécialisées pour l’inclusion scolaire »

(Rapport de l’ONU, 2019, p.20).

Cette recommandation reprend fidèlement la définition de l’inclusion scolaire c’est-à-dire scolarité en classe ordinaire, avec compensations aux besoins. La précision « éviter tout chevauchement », sous-entend d’arrêter la ségrégation, risque de l’Ulis. La collaboration est mise en avant également.

 

            La France a l’air de stagner, certains commentaires dans les questionnaires et en entretiens évoquaient une régression. La France pourrait s’inspirer plus concrètement de nos pays voisins. Nous avons abordé l’exemple très enrichissant de l’Italie, ayant un système d’éducation inclusive et étant dans la recherche pour améliorer l’emploi des personnes en situation de handicap. Les pays nordiques sont également bons élèves en termes d’inclusion scolaire, la Suisse a fait un bond en avant, etc. Avec un peu plus de temps, j’aurais pu parler d’autres systèmes éducatifs européens (liens en bibliographie). J’aurais pu élargir le sujet à d’autres professionnels, acteur de la scolarité pour tous.

 

 

Nous pourrions élargir l’analyse à la quête de la « société inclusive », en indiquant que les freins et moteurs de l’école pour tous sont similaires à ceux d’une « société inclusive ». Afin de n’exclure personne de la société, autrement dit inclure tout le monde, la mentalité et la capacité à échanger comptent beaucoup. Elles permettent de rendre la société accessible à tous, envisager et mettre en place la compensation nécessaire à chacun pour mener une vie autonome avec ou sans dépendance(s). Attribuer la même valeur humaine et sociale aux personnes en situation de handicap et respecter leurs droits, est selon moi le premier pas vers une unique société, à laquelle l'adjectif « inclusive » serait redondant.

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